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« Crise du Covid : Soutenir les femmes doit être une priorité »

12 janvier 2021

L’ambition d’atteindre une plus grande égalité entre les sexes dans le monde professionnel en Afrique est malmenée par la crise du Covid. Un panel de haut niveau a tenté de donner les pistes pour combattre ce phénomène.


L’Afrique, si elle est loin d’être le continent le plus touché au plan sanitaire, n’est pas épargnée par les conséquences sociales du Covid-19. Selon différentes études, cette situation contribue à exacerber les inégalités de genre sur le continent et devrait inciter à une vigilance accrue.  Tel a été en partie le constat dressé par les panélistes de la table ronde « Covid Crisis: a setback for gender equality », tenue dans le cadre du WFC et modérée par la journaliste sud-africaine Nozipho Tshabalala.

Sandra Sancier-Sultan, Senior Partner McKinsey y a notamment partagé une étude éclairante sur les bouleversements actuels en la matière. « De par les ruptures du système éducatif qu’elle a induit, le Covid-19 a créé une situation dans laquelle la charge de travail des femmes sur le continent a beaucoup augmenté alors même qu’avant la crise, cette charge était déjà au-dessus de la moyenne mondiale. » En effet, le temps consacré aux tâches domestiques en Afrique est ainsi 2,6 plus importants pour les femmes que pour les hommes. Mais l’impact se matérialise aussi par la nature des emplois détruits. « Les femmes sont surreprésentées dans des secteurs particulièrement affectés comme l’hôtellerie ou la distribution », indique ainsi Sandra Sancier-Sultan. Dans ce contexte, les préjugés sont un facteur aggravant : plus de la moitié de la population sondée en Afrique considère ainsi normal qu’en période difficile, le droit à l’emploi soit plus important pour les hommes.

Les pouvoirs publics, estime dès lors Sandra Sancier-Sultan, « doivent mettre en place des mesures structurelles de soutien pour compenser le travail domestique non rémunéré, lutter contre les biais culturels ou encore favoriser la formation professionnelle des femmes notamment dans les secteurs d’avenir comme le digital. Si l’on fait cela, nous estimons que l’Afrique pourrait gagner environ 10% de PIB additionnel. Cela constitue un levier potentiel énorme en ce temps de crise » juge celle qui a, par ailleurs, rappelé que le continent pouvait montrer la voie sur ce thème. D’ailleurs, selon McKinsey, et contrairement aux idées reçues, l’Afrique est leader au plan mondial en matière de représentation des femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises avec une part de 25% contre une moyenne planétaire d’à peine 11% !

Frannie Léautier, P-DG du fonds panafricain Southbridge Investment s’en réjouit évidemment mais prévient : « C’est un bon signe pour les jeunes femmes africaines sur ces fonctions de leadership. Mais cela ne doit pas cacher l’ampleur de la tache restante en matière d’égalité, notamment au sein des classes modestes. La crise a rendu la situation encore plus difficile pour les femmes à faible revenu. » Dans ce contexte, et toujours d’après elle, « les biais de genre doivent pouvoir être combattus par le système éducatif, la formation professionnelle et l’accroissement des capacités tout au long de la vie. En ces temps de confinement, l’enseignement à distance ou le numérique apparaissent clairement comme des outils majeurs de transformation. »

Pour Cecilia Akintomide, ancienne Vice-Présidente et Secrétaire Générale de la BAD, actuellement Directrice non-exécutive indépendante du groupe bancaire nigérian FBN Holdings, une des clés du problème se trouve dans le choix de politiques à long terme et à spectre large, car les inégalités sont amplifiées dans le temps. « C’est ce que nous déplorons au Nigeria au niveau des retraites. Les pensions des femmes restent en moyenne trois fois inférieures à celles des hommes du fait de biais comme le travail non rémunéré ou les ruptures de carrière liées aux maternités. Il s’agit d’un sujet politique et les gouvernements doivent apporter une réponse appropriée. Ce qui n’est souvent pas le cas », regrette-t-elle en poursuivant « l’exemple de la bonne représentation des femmes dans les conseils d’administration en Afrique démontre cette nécessité d’une politique affirmée. Car ces bons chiffres sont dus à l’action des régulateurs supervisant les grandes entreprises, notamment dans la finance. » Volontariste, elle renchérit : « Ne pas prendre les politiques adéquates signifierait pour l’Afrique des opportunités perdues, car la prise en compte du genre n’est pas seulement un sujet d’égalité mais aussi d’opportunités et de croissance supplémentaires pour nos économies. »

 

Selon Mehdi Tazi, Vice-Président du patronat marocain, la CGEM, et P-DG de Beassur Marsh, l’ampleur de la tâche peut certes apparaître immense en Afrique mais elle est en vérité comparable à celle rencontrée partout dans le monde. « Ces problèmes, pointe-t-il, ne connaissent bien souvent pas de solutions simples. Ils impliquent, y compris chez les femmes, un changement culturel et de mentalité qui demande du temps, par exemple sur la responsabilité particulière perçue des femmes envers les enfants ou les personnes âgées. Dans ce contexte, la discrimination positive a montré quelques succès. Il n’y a qu’à voir au Maroc ses résultats dans la représentation des femmes au Parlement. Mais ce type d’approche ne peut représenter qu’une partie d’une évolution sociétale bien plus large, notamment au sein des classes sociales modestes où l’inégalité dans la répartition des tâches domestiques demeure énorme. Elle est de l’ordre de 1 à 6 au Maroc par exemple. » Le législateur, estime Mehdi Tazi, doit notamment s’attaquer en priorité à une forme de reconnaissance matérielle du travail non rémunéré des femmes, a fortiori dans ce contexte actuel.

Deux types de réponses peuvent être apportés à la crise actuelle, estime Frannie Léautier. La première passe par la mutation des secteurs affectés par la récession et où les femmes sont surreprésentées, par exemple l’hôtellerie. « Dans de nombreux pays sur le continent, on constate déjà un changement de modèle rapide, avec une réorientation de ce secteur sur la clientèle domestique, le recours accru aux produits alimentaires locaux ou encore l’envolée de la restauration livrée à domicile ou autres formes de e-commerce. Cette adaptation du secteur privé, souvent liée à l’entrepreneuriat féminin est encourageante, mais elle ne dispense pas d’un deuxième type de réponses du côté de l’action publique cette fois ». Il est ainsi crucial dans le contexte post-Covid de s’assurer que les femmes seront formées aux activités du futur pour développer leurs PME. « Cela passe, par exemple, par un investissement massif dans l’éducation aux technologies numériques. Il faut donner aux femmes ces outils pour accélérer la croissance de leurs activités qui, trop souvent encore, stagnent faute de formations adéquates », suggère-t-elle.

Dans cette période de crise, il convient d’intégrer les dynamiques de genre dans les politiques publiques et dans le fonctionnement du secteur privé. Les licenciements, par exemple, frappent actuellement beaucoup les jeunes générations où les femmes sont mieux représentées et donc souffrent en premier.  « Ce type de constat doit être mis sur la table sans crainte », conclut Cecilia Akintomide.